Mallarmé
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Mallarmé
J'étais curieux de ne pas voir Mallarmé, mon poète préféré, souvent décrié pour son hermétisme et sa complexité. Et pourtant je pense que c'est sa poésie qui est la plus riche du fait même qu'elle condense dans un mot une multitude de détermination.
Huysmans dans A rebours à mon avis analyse très bien Mallarmé : en un mot il place à la fois la forme de la chose, son aspect, son odeur, son son, sa couleur... Pour créer un dialogue entre un poème et un idéal lecteur ou quelques phrases possèdent une multiplicité du sens inégalable.
Allé, mon poème préféré, le long Après midi d'un Faune, repris par Debussy en musique ou Ninjiski en danse !
Le Faune
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu'il voltige dans l'air
Assoupi de sommeils touffus.
Aimai-je un rêve ?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois même, prouve, hélas! que bien seul je m'offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses --
Réfléchissons...
ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Faune, l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Que non! par l'immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,
Ne murmure point d'eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d'accords; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s'exhaler avant
Qu'il disperse le son dans une pluie aride,
C'est, à l'horizon pas remué d'une ride
Le visible et serein souffle artificiel
De l'inspiration, qui regagne le ciel.
O bords siciliens d'un calme marécage
Qu'à l'envi de soleils ma vanité saccage
Tacite sous les fleurs d'étincelles, CONTEZ
« Que je coupais ici les creux roseaux domptés
» Par le talent; quand, sur l'or glauque de lointaines
» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
» Ondoie une blancheur animale au repos :
» Et qu'au prélude lent où naissent les pipeaux
» Ce vol de cygnes, non! de naïades se sauve
» Ou plonge...
Inerte, tout brûle dans l'heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d'hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m'éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys! et l'un de vous tous pour l'ingénuité.
Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure
Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;
Mais, bast! arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue :
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, dans un solo long, que nous amusions
La beauté d'alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;
Et de faire aussi haut que l'amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone ligne.
Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m'attends !
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Des déesses; et par d'idolâtres peintures
À leur ombre enlever encore des ceintures :
Ainsi, quand des raisins j'ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j'élève au ciel d'été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D'ivresse, jusqu'au soir je regarde au travers.
O nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers.
« Mon oeil, trouant les joncs, dardait chaque encolure
» Immortelle, qui noie en l'onde sa brûlure
» Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;
» Et le splendide bain de cheveux disparaît
» Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !
» J'accours; quand, à mes pieds, s'entrejoignent (meurtries
» De la langueur goûtée à ce mal d'être deux)
» Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux ;
» Je les ravis, sans les désenlacer, et vole
» À ce massif, haï par l'ombrage frivole,
» De roses tarissant tout parfum au soleil,
» Où notre ébat au jour consumé soit pareil.
Je t'adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Des pieds de l'inhumaine au coeur de la timide
Qui délaisse à la fois une innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
« Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs
» Traîtresses, divisé la touffe échevelée
» De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée :
» Car, à peine j'allais cacher un rire ardent
» Sous les replis heureux d'une seule (gardant
» Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume
» Se teignît à l'émoi de sa soeur qui s'allume,
» La petite, naïve et ne rougissant pas
» Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,
» Cette proie, à jamais ingrate se délivre
» Sans pitié du sanglot dont j'étais encore ivre.
Tant pis ! vers le bonheur d'autres m'entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure ;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.
À l'heure où ce bois d'or et de cendres se teinte
Une fête s'exalte en la feuillée éteinte :
Etna ! c'est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant tes talons ingénus,
Quand tonne une somme triste ou s'épuise la flamme.
Je tiens la reine !
O sûr châtiment...
Non, mais l'âme
De paroles vacante et ce corps alourdi
Tard succombent au fier silence de midi :
Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphème,
Sur le sable altéré gisant et comme j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des vins !
Couple, adieu ; je vais voir l'ombre que tu devins.
Huysmans dans A rebours à mon avis analyse très bien Mallarmé : en un mot il place à la fois la forme de la chose, son aspect, son odeur, son son, sa couleur... Pour créer un dialogue entre un poème et un idéal lecteur ou quelques phrases possèdent une multiplicité du sens inégalable.
Allé, mon poème préféré, le long Après midi d'un Faune, repris par Debussy en musique ou Ninjiski en danse !
Le Faune
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu'il voltige dans l'air
Assoupi de sommeils touffus.
Aimai-je un rêve ?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois même, prouve, hélas! que bien seul je m'offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses --
Réfléchissons...
ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Faune, l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Que non! par l'immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,
Ne murmure point d'eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d'accords; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s'exhaler avant
Qu'il disperse le son dans une pluie aride,
C'est, à l'horizon pas remué d'une ride
Le visible et serein souffle artificiel
De l'inspiration, qui regagne le ciel.
O bords siciliens d'un calme marécage
Qu'à l'envi de soleils ma vanité saccage
Tacite sous les fleurs d'étincelles, CONTEZ
« Que je coupais ici les creux roseaux domptés
» Par le talent; quand, sur l'or glauque de lointaines
» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
» Ondoie une blancheur animale au repos :
» Et qu'au prélude lent où naissent les pipeaux
» Ce vol de cygnes, non! de naïades se sauve
» Ou plonge...
Inerte, tout brûle dans l'heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d'hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m'éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys! et l'un de vous tous pour l'ingénuité.
Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure
Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;
Mais, bast! arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue :
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, dans un solo long, que nous amusions
La beauté d'alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;
Et de faire aussi haut que l'amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone ligne.
Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m'attends !
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Des déesses; et par d'idolâtres peintures
À leur ombre enlever encore des ceintures :
Ainsi, quand des raisins j'ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j'élève au ciel d'été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D'ivresse, jusqu'au soir je regarde au travers.
O nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers.
« Mon oeil, trouant les joncs, dardait chaque encolure
» Immortelle, qui noie en l'onde sa brûlure
» Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;
» Et le splendide bain de cheveux disparaît
» Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !
» J'accours; quand, à mes pieds, s'entrejoignent (meurtries
» De la langueur goûtée à ce mal d'être deux)
» Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux ;
» Je les ravis, sans les désenlacer, et vole
» À ce massif, haï par l'ombrage frivole,
» De roses tarissant tout parfum au soleil,
» Où notre ébat au jour consumé soit pareil.
Je t'adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Des pieds de l'inhumaine au coeur de la timide
Qui délaisse à la fois une innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
« Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs
» Traîtresses, divisé la touffe échevelée
» De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée :
» Car, à peine j'allais cacher un rire ardent
» Sous les replis heureux d'une seule (gardant
» Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume
» Se teignît à l'émoi de sa soeur qui s'allume,
» La petite, naïve et ne rougissant pas
» Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,
» Cette proie, à jamais ingrate se délivre
» Sans pitié du sanglot dont j'étais encore ivre.
Tant pis ! vers le bonheur d'autres m'entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure ;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.
À l'heure où ce bois d'or et de cendres se teinte
Une fête s'exalte en la feuillée éteinte :
Etna ! c'est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant tes talons ingénus,
Quand tonne une somme triste ou s'épuise la flamme.
Je tiens la reine !
O sûr châtiment...
Non, mais l'âme
De paroles vacante et ce corps alourdi
Tard succombent au fier silence de midi :
Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphème,
Sur le sable altéré gisant et comme j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des vins !
Couple, adieu ; je vais voir l'ombre que tu devins.
Littlewingrunner- Petit Sage
- Messages : 460
Date d'inscription : 24/02/2012
Localisation : Ile de France
Re: Mallarmé
Admirable !
Tu me donnes envie de le relire, après...Nombre d'années !
Merci !
Tu me donnes envie de le relire, après...Nombre d'années !
Merci !
Nelson- Grand Maitre Suprême
- Messages : 6859
Date d'inscription : 25/04/2011
Localisation : Hic et nunc
Re: Mallarmé
Ma soeur m'a offert ses oeuvres complètes à Noël, j'en lis régulièrement, prenant un ou deux poèmes pour les méditer et/ou les étudier. Ce qui est formidable c'est que sa poésie est sous tendue par une conception métaphysique très forte, une forme d'angoisse sous-jacente.
Mallarmé c'est un peu le Nietzsche de la poésie à mon sens, à savoir qu'il trouve à force de creuser le mot ( selon ses mots dans Crise du vers ) le Néant de ceux-ci, un gouffre sans fin, le poète c'est celui qui chante au bord du gouffre pour reprendre l'expression de M.Blanchot : une intuition angoissée de l'inconsistance poétique. La poésie ne représente pas, le mot ne change pas le réel, elle est feu d'artifice, on retrouve cela chez lui avant de le trouver chez Apollinaire. Sa solution est alors la Beauté ( à l'antonomase ) du mot, en utilisant des masques, la qualité formelle des mots pour créer. Absolument comme Nietzsche disait dans La naissance de la tragédie que les grecs étaient superficiels par profondeur. Il me semble qu'il en est de même chez Mallarmé qui a connu cette même crise. La prise de conscience de la vacuité de la profondeur des mots lui fait choisir leur superficialité pour créer de la beauté.
Mallarmé c'est un peu le Nietzsche de la poésie à mon sens, à savoir qu'il trouve à force de creuser le mot ( selon ses mots dans Crise du vers ) le Néant de ceux-ci, un gouffre sans fin, le poète c'est celui qui chante au bord du gouffre pour reprendre l'expression de M.Blanchot : une intuition angoissée de l'inconsistance poétique. La poésie ne représente pas, le mot ne change pas le réel, elle est feu d'artifice, on retrouve cela chez lui avant de le trouver chez Apollinaire. Sa solution est alors la Beauté ( à l'antonomase ) du mot, en utilisant des masques, la qualité formelle des mots pour créer. Absolument comme Nietzsche disait dans La naissance de la tragédie que les grecs étaient superficiels par profondeur. Il me semble qu'il en est de même chez Mallarmé qui a connu cette même crise. La prise de conscience de la vacuité de la profondeur des mots lui fait choisir leur superficialité pour créer de la beauté.
Littlewingrunner- Petit Sage
- Messages : 460
Date d'inscription : 24/02/2012
Localisation : Ile de France
Re: Mallarmé
Vous vous êtes laissé aller à metre une majuscule à Beauté, comme moi, en prélevant un vers de Keats pour en faire ma signature.
J'ai - mais vous ne veniez pas ici -- plusieurs fois eu l'occasion de parler de cette vacuité des mots, non pas en valeur absolue, mais relativement à ce que nous portons en nous depuis "in utero". Que faisons-nous ici : nous discutons entre gens de qualité certaine, pour donner (tentative qu'on sait vaine avec l'âge) une apparence à nos échanges. Mais ne soyons pas dupes. : nous sommes infiniment plus riches que nous ne pouvons l'exprimer. Alors la poésie est un moyen, (abstrait comme chez Mallarmé, et en musique) de nous faire croire que nous pouvons échapper à cette vacuité des mots. Bonne nuit. Je vais dormir.
J'ai - mais vous ne veniez pas ici -- plusieurs fois eu l'occasion de parler de cette vacuité des mots, non pas en valeur absolue, mais relativement à ce que nous portons en nous depuis "in utero". Que faisons-nous ici : nous discutons entre gens de qualité certaine, pour donner (tentative qu'on sait vaine avec l'âge) une apparence à nos échanges. Mais ne soyons pas dupes. : nous sommes infiniment plus riches que nous ne pouvons l'exprimer. Alors la poésie est un moyen, (abstrait comme chez Mallarmé, et en musique) de nous faire croire que nous pouvons échapper à cette vacuité des mots. Bonne nuit. Je vais dormir.
Re: Mallarmé
Et bien je vous dirai que je ne suis pas ou peu sensible à cette poésie. Question de tempérament, je suppose : le mien me porte plus volontiers vers le style épique et les grandes envolées lyriques d'un Hugo, l'ironie mordante et désabusée de Baudelaire ou la passion exaltée de Lamartine. J'aime le souffle, l'écume de Pégase, la poésie-tempête, les esprits qui sont des cieux tourmentés, l'excès, la démesure, la rude étreinte d'un mot qui choque, les images qui heurtent, les métaphores qui décoiffent.
Pimbi- Grand Initié
- Messages : 3086
Date d'inscription : 09/02/2012
Age : 38
Localisation : Ouskiya de l'Irouléguy
Re: Mallarmé
Il est vrai que Mallarmé n'a pas grand'chose de commun avec le père Hugo, ni surtout Beaudelaire (mon préféré, avec Appolinaire).
Connais-tu "Les villes tentaculaires" de mon compatriote Emile Verhaeren ?
Connais-tu "Les villes tentaculaires" de mon compatriote Emile Verhaeren ?
Nelson- Grand Maitre Suprême
- Messages : 6859
Date d'inscription : 25/04/2011
Localisation : Hic et nunc
Re: Mallarmé
Non, mais je ne demande qu'à connaître.
Pimbi- Grand Initié
- Messages : 3086
Date d'inscription : 09/02/2012
Age : 38
Localisation : Ouskiya de l'Irouléguy
Re: Mallarmé
Verhaeren c'est contemporain d'Appolinaire, ce dernier s'en inspire en partie. Je l'ai lu cette année, une référence.
Eh bien moi Pimbi ( décidément ces nouveaux pseudos pour une même identité ! ) au contraire Hugo ( celui des Châtiments ) et Lamartine me lassent grandement, je n'y vois que peu d'inventivité mais une sorte de récital plaintif, une voix magistrale chez Hugo certes, mais dont le lyrisme est trop écrasant. Chez Appolinaire en revanche je retrouve bien ce "lyrisme de la sourdine", plus discret et métaphysique, qui est présent chez Mallarmé malgré la "disparition élocutoire du poète". Disparition qui donne à mon avis bien plus de subtilité à sa poésie, et plus de profondeur également pour les raisons que j'ai donné plus haut, et qu'Hérodote semble partager.
Avant tous les critiques d'après guerre, comme Barthes, Bataille, Blanchot et d'autres il est le premier à mettre en question la mort du langage, sa dimension creuse et à pousser à un extrême la recherche des parnassiens qui prenaient les mots comme des émaux et camées pour reprendre un titre de Théophile Gautier. Le but ce n'est plus chez Mallarmé de faire des métaphores ( qui seront sur-utilisées chez les surréalistes sous le nom de stupéfiant image ), qui ne présentent que peu de monde au final, mais la musicalité comme un masque sur des mots présentant une quasi-infinité de sens. On a en présence deux approches fort différentes de la poésie en somme : une poésie métaphysique de sourdine chez Mallarmé, superficielle par profondeur, et une poésie plus grandiloquente, affirmant sa profondeur par superficialité chez Lamartine, c'est du moins comme ça que je les lis... Je reconnais cependant volontiers la qualité d'Hugo qui a passé par bien trop de mouvement pour être cantonné en une critique.
Eh bien moi Pimbi ( décidément ces nouveaux pseudos pour une même identité ! ) au contraire Hugo ( celui des Châtiments ) et Lamartine me lassent grandement, je n'y vois que peu d'inventivité mais une sorte de récital plaintif, une voix magistrale chez Hugo certes, mais dont le lyrisme est trop écrasant. Chez Appolinaire en revanche je retrouve bien ce "lyrisme de la sourdine", plus discret et métaphysique, qui est présent chez Mallarmé malgré la "disparition élocutoire du poète". Disparition qui donne à mon avis bien plus de subtilité à sa poésie, et plus de profondeur également pour les raisons que j'ai donné plus haut, et qu'Hérodote semble partager.
Avant tous les critiques d'après guerre, comme Barthes, Bataille, Blanchot et d'autres il est le premier à mettre en question la mort du langage, sa dimension creuse et à pousser à un extrême la recherche des parnassiens qui prenaient les mots comme des émaux et camées pour reprendre un titre de Théophile Gautier. Le but ce n'est plus chez Mallarmé de faire des métaphores ( qui seront sur-utilisées chez les surréalistes sous le nom de stupéfiant image ), qui ne présentent que peu de monde au final, mais la musicalité comme un masque sur des mots présentant une quasi-infinité de sens. On a en présence deux approches fort différentes de la poésie en somme : une poésie métaphysique de sourdine chez Mallarmé, superficielle par profondeur, et une poésie plus grandiloquente, affirmant sa profondeur par superficialité chez Lamartine, c'est du moins comme ça que je les lis... Je reconnais cependant volontiers la qualité d'Hugo qui a passé par bien trop de mouvement pour être cantonné en une critique.
Littlewingrunner- Petit Sage
- Messages : 460
Date d'inscription : 24/02/2012
Localisation : Ile de France
Re: Mallarmé
Nos sensibilités nous entraînent vers des horizons différents ; heureusement que nous n'avons pas tous les mêmes préférences, ce serait d'un ennui à mourir. J'avoue cependant que je suis infiniment plus éclectique en musique qu'en littérature et en poésie.
Pimbi- Grand Initié
- Messages : 3086
Date d'inscription : 09/02/2012
Age : 38
Localisation : Ouskiya de l'Irouléguy
Re: Mallarmé
Moi j'évite d'analyser mes ressentis du point de vue poétique, je ne doute pas une seule seconde du talent de Mallarmé, mais j'avoue qu'à l'instar de Pimbi, mes goûts s'orientent plutôt vers Hugo ou Lamartine... Et d'autres, comme Elisa Mercoeur ou Marceline Desbordes Valmore.
Eventuellement Baudelaire oui... Je préfère éviter de décrire ce que j'éprouve en lisant ces auteurs, je me laisse simplement envahir par un certain parfum. Toutefois je pense que toute la poésie me possède, c'est un art littéraire qui ne me lassera jamais.
Eventuellement Baudelaire oui... Je préfère éviter de décrire ce que j'éprouve en lisant ces auteurs, je me laisse simplement envahir par un certain parfum. Toutefois je pense que toute la poésie me possède, c'est un art littéraire qui ne me lassera jamais.
Invité- Invité
Re: Mallarmé
Il existe un poème de Mallarmé que j'aime beaucoup : "La sainte"
Je suppose que tu le connais LR ? Sinon tu le découvriras car je compte le publier ici...
Je suppose que tu le connais LR ? Sinon tu le découvriras car je compte le publier ici...
Invité- Invité
Re: Mallarmé
Oui, en effet, je l'aime beaucoup aussi.
Barthes avait fait un rapprochement étymologique très intéressant dans ses Essais critiques, savoir et sentir viennent de la même racine latine, sapere, qui est du bas-latin, contrairement à l'étymologie qui rapproche le savoir de la science. Ce rapprochement étymologique est intéressant car il montre que l'analyse n'est en rien contraire à un ressenti du texte. Je pense a contrario qu'on sent d'autant mieux le texte qu'on l'analyse. C'est à mon sens une erreur plutôt répandue chez les étudiants en littérature de se dire : " Je n'aime pas étudier un texte car j'en perd la pure spontanéité qui fait que je l'apprécie", c'est mal concevoir l'analyse, celle ci ne détruit pas une spontanéité, ne décortique pas le texte en éléments disjoints, mais au contraire permet de creuser et de mettre en lumière ses qualités plus pleinement. On peut creuser autant qu'on veut un poème de Mallarmé il subsistera toujours une hémorragie de sens, une pluralité, une fulgurance.
La poésie c'est "un éclair qui dure" selon René Charr, ce mot me semble particulièrement fort : si la poésie est un éclair elle est en un sens dans la spontanéité de la création, une spontanéité originelle qui est irréductible à l'analyse.
Je prend un exemple fameux : le "soleil cou coupé" chez Apollinaire dans Zone. A quoi sert l'analyse ? Elle montre d'abord la reproduction des sonorités "cou", produisant une certaine syncope rythmique. L'image rappelle également le mythe icarien, présent plus tôt dans le poème Zone explicitement. Le cou coupé est un oiseau selon le Littré, rappelant la dimension de l'envol ou de l'élévation poétique pour prendre un mot baudelerien. On peut également mettre en lumière, surtout au vu du thème du poème, que la formule présente l'image d'un crépuscule, le cou coupé mettant en exergue une dimension sanglante, le crépuscule étant le commencement de quelque chose : Zone est un ode à la modernité. Bref l'analyse permet de voir plus profondément et d'apprécier la plurisémanticité de l'expression. En revanche elle ne permet pas de comprendre totalement l'image, il reste une irréductibilité, comment cette fulgurance est apparue, qu'est ce qui fait que la formule conserve un aspect mystérieux ? Aucune réponse analytique. L'analyse permet alors, par ce qu'elle ne peut expliquer, d'à la fois mieux comprendre le poème, mais aussi de pointer ce qui est proprement exceptionnel en lui, ce qu'on ne peut réduire à une explication. C'est ce que je retrouve chez Racine, " La fille de Minos et de Pasiphaé" dans Phèdre présente la même irréductibilité analytique, et pourtant on peut bien en dire le sens dans l'économie de la pièce. C'est cela qui fait avant tout la beauté d'un vers.
Barthes avait fait un rapprochement étymologique très intéressant dans ses Essais critiques, savoir et sentir viennent de la même racine latine, sapere, qui est du bas-latin, contrairement à l'étymologie qui rapproche le savoir de la science. Ce rapprochement étymologique est intéressant car il montre que l'analyse n'est en rien contraire à un ressenti du texte. Je pense a contrario qu'on sent d'autant mieux le texte qu'on l'analyse. C'est à mon sens une erreur plutôt répandue chez les étudiants en littérature de se dire : " Je n'aime pas étudier un texte car j'en perd la pure spontanéité qui fait que je l'apprécie", c'est mal concevoir l'analyse, celle ci ne détruit pas une spontanéité, ne décortique pas le texte en éléments disjoints, mais au contraire permet de creuser et de mettre en lumière ses qualités plus pleinement. On peut creuser autant qu'on veut un poème de Mallarmé il subsistera toujours une hémorragie de sens, une pluralité, une fulgurance.
La poésie c'est "un éclair qui dure" selon René Charr, ce mot me semble particulièrement fort : si la poésie est un éclair elle est en un sens dans la spontanéité de la création, une spontanéité originelle qui est irréductible à l'analyse.
Je prend un exemple fameux : le "soleil cou coupé" chez Apollinaire dans Zone. A quoi sert l'analyse ? Elle montre d'abord la reproduction des sonorités "cou", produisant une certaine syncope rythmique. L'image rappelle également le mythe icarien, présent plus tôt dans le poème Zone explicitement. Le cou coupé est un oiseau selon le Littré, rappelant la dimension de l'envol ou de l'élévation poétique pour prendre un mot baudelerien. On peut également mettre en lumière, surtout au vu du thème du poème, que la formule présente l'image d'un crépuscule, le cou coupé mettant en exergue une dimension sanglante, le crépuscule étant le commencement de quelque chose : Zone est un ode à la modernité. Bref l'analyse permet de voir plus profondément et d'apprécier la plurisémanticité de l'expression. En revanche elle ne permet pas de comprendre totalement l'image, il reste une irréductibilité, comment cette fulgurance est apparue, qu'est ce qui fait que la formule conserve un aspect mystérieux ? Aucune réponse analytique. L'analyse permet alors, par ce qu'elle ne peut expliquer, d'à la fois mieux comprendre le poème, mais aussi de pointer ce qui est proprement exceptionnel en lui, ce qu'on ne peut réduire à une explication. C'est ce que je retrouve chez Racine, " La fille de Minos et de Pasiphaé" dans Phèdre présente la même irréductibilité analytique, et pourtant on peut bien en dire le sens dans l'économie de la pièce. C'est cela qui fait avant tout la beauté d'un vers.
Littlewingrunner- Petit Sage
- Messages : 460
Date d'inscription : 24/02/2012
Localisation : Ile de France
Re: Mallarmé
La beauté, chez le vers, se situe dans sa propension à bouffer nos chairs mortes, se repaître de nos entrailles, quand on omet de se faire incinérer.
Je ferai l'apologie du feu versus la lenteur du ver.
Veuillez m'excuser; je ne peux m'empêcher de brocarder la camarde...
Je ferai l'apologie du feu versus la lenteur du ver.
Veuillez m'excuser; je ne peux m'empêcher de brocarder la camarde...
Nelson- Grand Maitre Suprême
- Messages : 6859
Date d'inscription : 25/04/2011
Localisation : Hic et nunc
Re: Mallarmé
Brocard pour brocard, il ne faut pas oublier que Mallarmé ne manquait pas d'humour. tels ses envois répétés de lettres avec l'adresse en vers mallarméens, donc, a priori, difficiles à comprendre pour le commun des mortels. Les facteurs des postes de l'époque y mettaient du leur et Mallarmé prétendait que toutes les lettres ainsi adressées étaient parvenues à leur destinataire. J'insiste bien que sur l'enveloppe, rien d'autre n'étaient inscrit que la fantaisie mallarméenne. Aujourd'hui nous aurions un tampon du genre : "Adresse illisible" ou "adresse incomplête"...
Re: Mallarmé
Tes analyses sont très fines LR, c'est très intéressant de pouvoir profiter de tes lumières concernant la littérature... C'est même relativement poussé pour moi puisque je n'ai pas tes acquis, mais je m'efforce de suivre.
Invité- Invité
Re: Mallarmé
Je travaille sans filet, ma petite fille, étudiante, occupant chez moi ma bibliothèque
Néanmoins je vous balance, comme ça, ce vers fameux, qui unit à la fois un certain lyrisme et le souffle retenu et la superbe formelle. C'était un rite mallarméen que celui de griffonner des vers, brefs mais toujours admirables, sur l'éventail de dames. Ainsi je mets à la fin de ces lignes, pour que vous en gardiez la résonnance au fond de votre cerveau; musique et poésie s'y mèlent (Eventail de Melle Mallarmé) :
"Ce blanc vol fermé que tu poses
"Contre le feu d'un bracelet".
Néanmoins je vous balance, comme ça, ce vers fameux, qui unit à la fois un certain lyrisme et le souffle retenu et la superbe formelle. C'était un rite mallarméen que celui de griffonner des vers, brefs mais toujours admirables, sur l'éventail de dames. Ainsi je mets à la fin de ces lignes, pour que vous en gardiez la résonnance au fond de votre cerveau; musique et poésie s'y mèlent (Eventail de Melle Mallarmé) :
"Ce blanc vol fermé que tu poses
"Contre le feu d'un bracelet".
Re: Mallarmé
Le vers que vous proposez Herodote est incandescent, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mot.
Un autre poème que j'apprécie de Mallarmé, qui reprend un thème baudelerien :
Angoisse
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.
Car le Vice, rongeant ma native noblesse
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Un autre poème que j'apprécie de Mallarmé, qui reprend un thème baudelerien :
Angoisse
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.
Car le Vice, rongeant ma native noblesse
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
Littlewingrunner- Petit Sage
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Re: Mallarmé
Un sonnet ! Mallarmé, tout comme Baudelaire, étaient de grands compositeurs de sonnets. Une tradition ancienne que Ronsard maîtrisait déjà !
Invité- Invité
Re: Mallarmé
En effet le sonnet vient de la renaissance. Il est passé en français par le biais de Ronsard et Du Bellay, mais il est né en Italie, chez Pétrarque, que Clément Marot, poète du moyen-âge qui a également été l'éditeur de Villon, a traduit.
Mais il est certain que le sonnet de Mallarmé n'a plus grand chose à voir hormis la forme à celui de Ronsard.
Mais il est certain que le sonnet de Mallarmé n'a plus grand chose à voir hormis la forme à celui de Ronsard.
Littlewingrunner- Petit Sage
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Re: Mallarmé
Celui-ci est particulièrement beau.
Pimbi- Grand Initié
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Re: Mallarmé
« Mallarmé est, de loin, le plus vaste espace de réflexion, de recherche, d'élaboration de l'idée de poésie qu'il y ait eu à son époque en Europe » Disait Yves Bonnefoy, lui même grand adepte de Mallarmé et poète ( le plus grand encore vivant en France avec Jaccottet peut être ), il a notamment écrit la préface à ses oeuvres complètes.
Le travail poétique est gratuit, au double sens du terme car non seulement premier, il n'est pas rémunéré, mais également, pour beaucoup de contemporains, normatif : il apparaît comme injustifié, dénué de raison valable et, par conséquent, absurde. Mallarmé le sait et semble proche de l'abattement : pourquoi consacrer tant d'énergie à quelque chose qui ne se vend pas ? L'après midi d'un Faune n'est distribué que sous deux cent copies. Pour le vulgaire l'activité poétique, notamment décrite dans "Divagations" de Mallarmé n'est qu'une perte de temps, le fameux terrassier du poème ne comprend pas pourquoi gâcher son temps à coucher du noir sur du blanc, et encore, quand la page ne refuse pas l'écriture. Mallarmé en est conscient, il travaille mais à rien "qui puisse servir, parmi l'échange général. Tristesse que ma production reste, à ceux-ci, par essence, comme les nuages au crépuscule ou des étoiles, vaine ". Ce détachement est déjà une façon d'atteindre une lucidité: à la fin de la divagation le poète éclaire l'aliénation du terrassier, ou encore le scandale de Panama, exemple caractéristique d'une divinité fictive de l'or entretenue par le seul "crédit ", c'est-à-dire par les mécanismes psychologiques de la croyance superstitieuse.
Je disais dans un des premiers post sur le poète que Mallarmé avait une forte parenté avec Nietzsche. Pour Nietzsche dans le Crépuscule des idoles, la course effrénée après l'or par le biais du travail qui se répand en Europe créant une "absence stupéfiante d'esprit" est une des conséquences de la "mort de Dieu" de cette fin du XIXème siècle. « Le travail est un moyen, et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils ne font guère preuve de subtilité dans le choix de leur travail, pourvu qu'il rapporte bien » dit Nietzsche, l'ennui est à proscrire, il y'a une béance existentielle à combler par le biais de la suractivité dans le but d'une nouvelle valeur refuge qu'est l'argent. C'est la définition même du divertissement pascalien qui entre en jeu : tout faire pour ne pas s'ennuyer, car l'ennui s'est se retrouver seul face à soi même et à son manque ontologique. Un second type d'homme, bien plus rare, apparaît cependant. "Ils préfèrent périr plutôt que de travailler sans prendre plaisir à leur travail " ; quant à l'ennui, certes souvent désagréable, ils ne le craignent pas, sachant qu'il est fécond et nécessaire à « leur travail ».
Pour reprendre des termes de l'existentialisme le premier type d'homme est dans l'immanence : ils sont gouvernés par des forces réactives de reproduction, la subsistance par le travail, la conservation de la vie, la volonté de puissance nietzschéenne, qui peut tendre vers une augmentation de la qualité de vie et une croissance des biens, qui est un processus vital.
Au contraire les poètes sont dans la transcendance, l'activité qui intensifie qualitativement la volonté de puissance et dépasse la conservation de la vie ( au mépris d'elle même). La conservation est accidentelle et le plaisir est le signe. Le fossé est irréductible puisque les deux types, le terrassier de Mallarmé et Mallarmé lui même, obéissent à deux types différents qui ne communiquent pas : le terrassier est attaché à la valeur travail, la subsistance, une vie linéaire, potentiellement croissante. Le poète est le signe d'une vie ascendante, transcendante qui va au-delà vers la métaphysique.
Mais le conflit existe à la fois entre les hommes et dans les hommes, les deux forces se trouvent en la figure d'apollon et de Dionysos chez Nietzsche par exemple. Mallarmé lui même est professeur et souffre de sa condition de poète. « Productions Insensées, en prose ou en vers. Les personnages qui lisent ces étranges élucubrations du cerveau de M. Mallarmé doivent s'étonner qu'il occupe une chaire au Lycée Fontanes » disent les critiques.
Mallarmé dans son esthétique poétique évacue peu à peu le monde socio-économique tel qu'il le vit pour trouver des abstractions, il veut créer le Livre qui chante les origines orphiques de la terre sous le signe de la Beauté, une "poésie pure" d'influence platonicienne ou le monde est un monde d'essence, non plus la fleur mais l'idée de fleur, "l'absente de tout bouquet" qui se lève musicalement à son évocation poétique. Un essentialisme qui lui coûte d'ailleurs la vie : ses dix dernières années sont stériles et il se perd dans un méandre de symboles qu'il n'arrive pas à mettre en forme, une poésie si profonde qu'elle aboutit à un projet comme Igitur. Au final le "Livre" qu'il voulait créer se réduit à "un coup de dés" qui est à la fois une merveille poétique mais aussi la trace de son impuissance à réaliser son projet, d'ou la trace persistante de l'angoisse et le pessimisme métaphysique qui sous-tend et structure tout en donnant un véritable souffle à sa poésie.
Edit : Des éléments intéressants sur l'esthétique du poète ici : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Mais également la préface de Bonnefoy aux oeuvres complètes de Mallarmé.
Egalement les travaux de Blanchot sur Mallarmé, poète au bord du gouffre. Mais bien sûr une quantité de littérature secondaire appréciable que je ne saurai restituer ici.
Le travail poétique est gratuit, au double sens du terme car non seulement premier, il n'est pas rémunéré, mais également, pour beaucoup de contemporains, normatif : il apparaît comme injustifié, dénué de raison valable et, par conséquent, absurde. Mallarmé le sait et semble proche de l'abattement : pourquoi consacrer tant d'énergie à quelque chose qui ne se vend pas ? L'après midi d'un Faune n'est distribué que sous deux cent copies. Pour le vulgaire l'activité poétique, notamment décrite dans "Divagations" de Mallarmé n'est qu'une perte de temps, le fameux terrassier du poème ne comprend pas pourquoi gâcher son temps à coucher du noir sur du blanc, et encore, quand la page ne refuse pas l'écriture. Mallarmé en est conscient, il travaille mais à rien "qui puisse servir, parmi l'échange général. Tristesse que ma production reste, à ceux-ci, par essence, comme les nuages au crépuscule ou des étoiles, vaine ". Ce détachement est déjà une façon d'atteindre une lucidité: à la fin de la divagation le poète éclaire l'aliénation du terrassier, ou encore le scandale de Panama, exemple caractéristique d'une divinité fictive de l'or entretenue par le seul "crédit ", c'est-à-dire par les mécanismes psychologiques de la croyance superstitieuse.
Je disais dans un des premiers post sur le poète que Mallarmé avait une forte parenté avec Nietzsche. Pour Nietzsche dans le Crépuscule des idoles, la course effrénée après l'or par le biais du travail qui se répand en Europe créant une "absence stupéfiante d'esprit" est une des conséquences de la "mort de Dieu" de cette fin du XIXème siècle. « Le travail est un moyen, et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils ne font guère preuve de subtilité dans le choix de leur travail, pourvu qu'il rapporte bien » dit Nietzsche, l'ennui est à proscrire, il y'a une béance existentielle à combler par le biais de la suractivité dans le but d'une nouvelle valeur refuge qu'est l'argent. C'est la définition même du divertissement pascalien qui entre en jeu : tout faire pour ne pas s'ennuyer, car l'ennui s'est se retrouver seul face à soi même et à son manque ontologique. Un second type d'homme, bien plus rare, apparaît cependant. "Ils préfèrent périr plutôt que de travailler sans prendre plaisir à leur travail " ; quant à l'ennui, certes souvent désagréable, ils ne le craignent pas, sachant qu'il est fécond et nécessaire à « leur travail ».
Pour reprendre des termes de l'existentialisme le premier type d'homme est dans l'immanence : ils sont gouvernés par des forces réactives de reproduction, la subsistance par le travail, la conservation de la vie, la volonté de puissance nietzschéenne, qui peut tendre vers une augmentation de la qualité de vie et une croissance des biens, qui est un processus vital.
Au contraire les poètes sont dans la transcendance, l'activité qui intensifie qualitativement la volonté de puissance et dépasse la conservation de la vie ( au mépris d'elle même). La conservation est accidentelle et le plaisir est le signe. Le fossé est irréductible puisque les deux types, le terrassier de Mallarmé et Mallarmé lui même, obéissent à deux types différents qui ne communiquent pas : le terrassier est attaché à la valeur travail, la subsistance, une vie linéaire, potentiellement croissante. Le poète est le signe d'une vie ascendante, transcendante qui va au-delà vers la métaphysique.
Mais le conflit existe à la fois entre les hommes et dans les hommes, les deux forces se trouvent en la figure d'apollon et de Dionysos chez Nietzsche par exemple. Mallarmé lui même est professeur et souffre de sa condition de poète. « Productions Insensées, en prose ou en vers. Les personnages qui lisent ces étranges élucubrations du cerveau de M. Mallarmé doivent s'étonner qu'il occupe une chaire au Lycée Fontanes » disent les critiques.
Mallarmé dans son esthétique poétique évacue peu à peu le monde socio-économique tel qu'il le vit pour trouver des abstractions, il veut créer le Livre qui chante les origines orphiques de la terre sous le signe de la Beauté, une "poésie pure" d'influence platonicienne ou le monde est un monde d'essence, non plus la fleur mais l'idée de fleur, "l'absente de tout bouquet" qui se lève musicalement à son évocation poétique. Un essentialisme qui lui coûte d'ailleurs la vie : ses dix dernières années sont stériles et il se perd dans un méandre de symboles qu'il n'arrive pas à mettre en forme, une poésie si profonde qu'elle aboutit à un projet comme Igitur. Au final le "Livre" qu'il voulait créer se réduit à "un coup de dés" qui est à la fois une merveille poétique mais aussi la trace de son impuissance à réaliser son projet, d'ou la trace persistante de l'angoisse et le pessimisme métaphysique qui sous-tend et structure tout en donnant un véritable souffle à sa poésie.
Edit : Des éléments intéressants sur l'esthétique du poète ici : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Mais également la préface de Bonnefoy aux oeuvres complètes de Mallarmé.
Egalement les travaux de Blanchot sur Mallarmé, poète au bord du gouffre. Mais bien sûr une quantité de littérature secondaire appréciable que je ne saurai restituer ici.
Littlewingrunner- Petit Sage
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Re: Mallarmé
Merci à toi LR pour cette riche documentation concernant Mallarmé, c'est un travail remarquable.
Invité- Invité
Re: Mallarmé
Merci, j'ai étudié pas mal de poésie cette année ( essentiellement Villon, Marot, Gautier, Apollinaire et Racine) et Mallarmé et le poète que je préfère, c'est un plaisir de me documenter ainsi sur lui. Il m'a toujours fasciné.
A mon sens la poésie et la philosophie sont deux appréhensions différentes d'un même objet, la philosophie construit un système logique, la poésie un système symbolique.
A mon sens la poésie et la philosophie sont deux appréhensions différentes d'un même objet, la philosophie construit un système logique, la poésie un système symbolique.
Littlewingrunner- Petit Sage
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Re: Mallarmé
Oui, et selon moi la poésie possède une composante artistique spontanée, un peu comme la peinture, qui peut être, sans l'éloigner, la dissocie un peu de la philosophie; mais ce n'est qu'un point de vue très personnel... Je conçois parfaitement que l'on puisse considérer la philosophie comme étant très artistique.
Pardon LR, mais étant modérateur de ce forum (mais pas grand chef ) pourrais-je me permettre de te donner un conseil ? C'est simplement à propos de la longueur et de la complexité des postages. Il faudrait y être attentif car je sais que tu as une grande culture, et une grande soif de la transmettre apparemment, mais certains lecteurs pourraient trouver cela quelque peu fastidieux.
Voilà, ne le prends pas mal, c'est juste un conseil pour que l'on conserve un certain confort (surtout pour les débutants dans ce domaine), et que les postages ne soient pas trop lourds. Cela dit ce que tu écris est très bien selon moi, et nous avons de la chance de pouvoir profiter de tes lumières en l'occurrence...
Pardon LR, mais étant modérateur de ce forum (mais pas grand chef ) pourrais-je me permettre de te donner un conseil ? C'est simplement à propos de la longueur et de la complexité des postages. Il faudrait y être attentif car je sais que tu as une grande culture, et une grande soif de la transmettre apparemment, mais certains lecteurs pourraient trouver cela quelque peu fastidieux.
Voilà, ne le prends pas mal, c'est juste un conseil pour que l'on conserve un certain confort (surtout pour les débutants dans ce domaine), et que les postages ne soient pas trop lourds. Cela dit ce que tu écris est très bien selon moi, et nous avons de la chance de pouvoir profiter de tes lumières en l'occurrence...
Invité- Invité
Re: Mallarmé
Pas de soucis, je ne suis pas du genre à me froisser à la moindre remarque, surtout si elle est dite avec amitié. Ma longueur est due à ma formation dissertative certainement, j'ai beaucoup de mal à considérer qu'on peut développer quelque chose suffisamment sans atteindre une certaine longueur, et puisqu'on est sur un forum de réflexion je pense qu'on peut se permettre d'être un peu plus exigeant avec son lectorat, peut être me trompe-je?
Littlewingrunner- Petit Sage
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