Les Théorèmes du moi -Nicolas Grimaldi . Par Catherine Portevin
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Les Théorèmes du moi -Nicolas Grimaldi . Par Catherine Portevin
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Hymne à l’ego flottant / Nul ne saura jamais qui il est, affirme Nicolas Grimaldi. Ni en se cherchant dans le regard des autres, ni en se suffisant à lui-même. Contre la fatigue d’être soi, voici un ouvrage revigorant et lumineux.
Être ou ne pas être, c’est toute la question du Moi. Nicolas Grimaldi en révèle, non tant les théorèmes que les ambiguïtés. Prenant à revers, comme c’est son bénéfique travers, les fausses évidences de l’époque avec ses injonctions à « être soi-même », il annonce d’emblée « l’inconsistance du moi » : aussi unique suis-je à être moi, me voilà incapable seul de définir ce que je suis sans le secours du regard des autres. En même temps, aucun être vivant « n’est objectivement réductible à ce qui s’en observe ». Voilà pourquoi « ce que je parais n’est que le résidu de ce que je voudrais être, quoique ce que je voudrais être me fasse être ce que je parais ». L’on pourrait citer comme autant de Maximes de La Rochefoucauld, les vertigineux aphorismes de Nicolas Grimaldi. Cruauté en moins et générosité en plus, il y a du Grand Siècle dans le style et la pensée de ce philosophe de l’insatisfaction humaine.
« Rien ne nous est plus obscur que ce qui nous est le plus intime », constate-t-il. Sur cette perplexité première, Nicolas Grimaldi prend d’abord le sujet par ses limites, en analysant des « moi » aussi spectaculaires qu’incertains d’exister : le snob et le dandy, tout deux saisis par une pathologie de la représentation, deux figures hantées par leur image, par les autres, que ce soit pour se conformer à eux ou pour s’en distinguer à tout prix.
Le snob serait plutôt ridicule quand le dandy serait tragique ; l’un frelaté, l’autre futile et impuissant. Au snobisme, les Précieuses et les Monsieur Jourdain de Molière, ou les salons de Madame Verdurin ; au dandysme, l’élégance du désespoir de Baudelaire, le « stoïcisme de boudoir » de Barbey d’Aurevilly. L’analyse philosophique de Grimaldi, pétrie de littérature, ouvre larges les horizons que tout homme contemple. Car dans ce genre de fatigue d’être soi d’où sont issus le snobisme et le dandysme, nous reconnaissons, certes grossi, ce sentiment ordinaire – parfois le malaise – que nous éprouvons « d’être ce que nous sommes vus » tant nous avons besoin de nous prendre pour le centre du monde. Si les snobs s’épuisent « à paraître ce qu’ils savent pourtant n’être pas », les dandys à « vivre et dormir devant un miroir » (Baudelaire), ils ont tous abdiqué de leur subjectivité et, conjurant la solitude inhérente à celle-ci, ne rêvent au fond que d’un statut d’objet. Le personnage d’Ivan Illitch (dans La Mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, que Grimaldi commente longuement), en étant ce qu’on attendait qu’il fût, en se conformant au jeu social, a sacrifié sa vie, la vie même. Faut-il alors plaider vertueusement pour la réalité de la vie contre les fantasmes de la représentation, pour un moi qui se suffit à lui-même (Rousseau) contre l’illusoire ou corruptrice relation aux autres ?
Certainement pas, car « nul ne s’éprouve jamais si séparé de soi qu’en étant séparé des autres », conclut Nicolas Grimaldi. Se déploie alors sa grande philosophie de la vie, la vie comme tendance, la vie comme mouvement qui m’excède et me traverse et se diffuse à travers moi, l’individu, tout soucieux de lui-même et de ses intérêts qu’il fût, n’existant que relié à son espèce. Dès lors, il n’y a pas à choisir entre la connaissance de soi et le souci des autres. Qui nous sommes, nous ne le saurons jamais. Mais la vie continuera, avec la perception du temps, du délai, de la durée, de l’attente, formant notre conscience d’être vivant. Le temps suit la vie comme son ombre, il la déforme parfois mais lui donne tout son relief et nous fait exister.
Par Catherine Portevin
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Hymne à l’ego flottant / Nul ne saura jamais qui il est, affirme Nicolas Grimaldi. Ni en se cherchant dans le regard des autres, ni en se suffisant à lui-même. Contre la fatigue d’être soi, voici un ouvrage revigorant et lumineux.
Être ou ne pas être, c’est toute la question du Moi. Nicolas Grimaldi en révèle, non tant les théorèmes que les ambiguïtés. Prenant à revers, comme c’est son bénéfique travers, les fausses évidences de l’époque avec ses injonctions à « être soi-même », il annonce d’emblée « l’inconsistance du moi » : aussi unique suis-je à être moi, me voilà incapable seul de définir ce que je suis sans le secours du regard des autres. En même temps, aucun être vivant « n’est objectivement réductible à ce qui s’en observe ». Voilà pourquoi « ce que je parais n’est que le résidu de ce que je voudrais être, quoique ce que je voudrais être me fasse être ce que je parais ». L’on pourrait citer comme autant de Maximes de La Rochefoucauld, les vertigineux aphorismes de Nicolas Grimaldi. Cruauté en moins et générosité en plus, il y a du Grand Siècle dans le style et la pensée de ce philosophe de l’insatisfaction humaine.
« Rien ne nous est plus obscur que ce qui nous est le plus intime », constate-t-il. Sur cette perplexité première, Nicolas Grimaldi prend d’abord le sujet par ses limites, en analysant des « moi » aussi spectaculaires qu’incertains d’exister : le snob et le dandy, tout deux saisis par une pathologie de la représentation, deux figures hantées par leur image, par les autres, que ce soit pour se conformer à eux ou pour s’en distinguer à tout prix.
Le snob serait plutôt ridicule quand le dandy serait tragique ; l’un frelaté, l’autre futile et impuissant. Au snobisme, les Précieuses et les Monsieur Jourdain de Molière, ou les salons de Madame Verdurin ; au dandysme, l’élégance du désespoir de Baudelaire, le « stoïcisme de boudoir » de Barbey d’Aurevilly. L’analyse philosophique de Grimaldi, pétrie de littérature, ouvre larges les horizons que tout homme contemple. Car dans ce genre de fatigue d’être soi d’où sont issus le snobisme et le dandysme, nous reconnaissons, certes grossi, ce sentiment ordinaire – parfois le malaise – que nous éprouvons « d’être ce que nous sommes vus » tant nous avons besoin de nous prendre pour le centre du monde. Si les snobs s’épuisent « à paraître ce qu’ils savent pourtant n’être pas », les dandys à « vivre et dormir devant un miroir » (Baudelaire), ils ont tous abdiqué de leur subjectivité et, conjurant la solitude inhérente à celle-ci, ne rêvent au fond que d’un statut d’objet. Le personnage d’Ivan Illitch (dans La Mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, que Grimaldi commente longuement), en étant ce qu’on attendait qu’il fût, en se conformant au jeu social, a sacrifié sa vie, la vie même. Faut-il alors plaider vertueusement pour la réalité de la vie contre les fantasmes de la représentation, pour un moi qui se suffit à lui-même (Rousseau) contre l’illusoire ou corruptrice relation aux autres ?
Certainement pas, car « nul ne s’éprouve jamais si séparé de soi qu’en étant séparé des autres », conclut Nicolas Grimaldi. Se déploie alors sa grande philosophie de la vie, la vie comme tendance, la vie comme mouvement qui m’excède et me traverse et se diffuse à travers moi, l’individu, tout soucieux de lui-même et de ses intérêts qu’il fût, n’existant que relié à son espèce. Dès lors, il n’y a pas à choisir entre la connaissance de soi et le souci des autres. Qui nous sommes, nous ne le saurons jamais. Mais la vie continuera, avec la perception du temps, du délai, de la durée, de l’attente, formant notre conscience d’être vivant. Le temps suit la vie comme son ombre, il la déforme parfois mais lui donne tout son relief et nous fait exister.
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