La Kultur, oui, mais populaire !

Vous dites, Marie Gouze, refuser de vous mettre dans la position de juger. Quelle que soit l'oeuvre ou le programme, émanant de la Kultur populaire ou - je reprends votre expression - de la culture des princes, vous l'acceptez. J'ai cru comprendre, Marie, que vous faisiez de la peinture. L'apprentissage d'une pratique artistique vous le savez passe par la maîtrise de règles, quitte à les enfreindre une fois digérées, et donc de conventions permettant de produire quelque chose. De même, on est forcément amené à juger esthétiquement en apprenant à avoir les bonnes réponses appropriées aux objets. Quand vous risquez deux traits sur une toile blanche, cette fulgurance donne un dessin, un objet. Cet objet appelle une suite logique. Vous n'avez pas 50000 possibilités. Vous êtes contraint de choisir entre les 2 ou 3 qui s'offrent à vous. C'est l'objet qui vous indique comment poursuivre, vous devenez intégralement à son service. Choisir la bonne solution passe par le jugement et votre culture personnelle. Vous esquissez un troisième trait, ça ne va pas, vous revenez dessus, vous prenez du recul... oui, là, ça peut aller ; et vous cheminez ainsi, soucieuse de respecter l'objet qui prend forme sous vos yeux. Lors de cette phase créative, vous êtes constamment dans le jugement et même si vous pouvez avoir des moments de grâce dus à un ou deux gestes hasardeux, ces moments de grâce ne peuvent s'obtenir sans le travail ; c'est en cherchant qu'on trouve. Puis, l'ouvrage achevé, vous le montrez, le confrontez au regard des gens qui, à leur tour, vont juger le tableau avec leur culture personnelle. Si une jeune ado se met à pleurer devant votre toile en vous disant que certains motifs lui rappellent la pochette du dernier album de Jennifer, je conçois très bien que vous vous refuserez tout jugement à son égard. Vous ne retiendrez que l'émotion de cette jeune fille, touchante, émotion suscitée par votre entremise. Si la toile ne vous appartenait pas au moment de sa création, elle vous appartient encore moins lors du vernissage. Elle devient la propriété des regardant. Cette jeune fille l'aura fait sienne et c'est très bien ainsi.

Seulement, comme disait Hérodote, il y a autant d'usurpateurs dans la Kultur populaire que dans la culture des princes. Si David Bowie, Kate Bush, Tim Burton, Prévert, Ferré, Brel, sont les princes de la Kultur populaire, un mec comme Florent Pagny en est le pire représentant. Lui profite de son immense exposition médiatique pour régler ses comptes avec le fisc en faisant une chanson. Ici, malgré le véhicule, ce n'est pas un acte de poésie. Pagny ne fait pas oeuvre de culture pour le bien commun. C'est là un individualisme des plus forcenés. Sans compter qu'il se fait du fric avec cette chanson, il vocifère ses petits déboires de nanti à une masse ayant des problèmes plus importants à gérer. Mais le bonhomme est coutumier du fait. Rappelez-vous sa chanson, toujours en forme de réglement de comptes : "Presse qui roule pas vraiment cool, presse qui roule me casse les couilles." C'est odieux, non ? Des types comme lui font du mal à la Kultur populaire. Comment ne pas juger autrement ?

Quant à ce que dit Pimbi sur l'aspect élitiste de la culture des princes, c'est le résultat de sa quasi non exposition. Moins une culture est diffusée plus elle devient fermée ; les jeunes générations étant de moins en moins en contact avec elle. Depuis l'apparition d'Internet dans nos vie, on croit qu'il y a du mieux, que tout se mélange, mais je n'en suis pas vraiment convaincu. Nous assistons à une myriade de petites bulles communautaires où chacun s'enferme sans aucun contact avec les autres, étrangers à la communauté. Un gars pas curieux dans la vie, le serait-il sur la toile ? J'en doute. C'est pourquoi je veux rendre grâce à Spirale. En acceptant les profanes sur son site, il crève la bulle communautaire. Oui, à l'inverse de Florent Pagny, Spirale fait œuvre de culture. Gloire à notre maître !

En relisant vos commentaires, je me suis aperçu que j'avais loupé l'intervention de Mathieu qui salue, d'une part, le retour de Pimbi, et parle aussi de la peinture qu'il étend jusqu'à l'art de rue. Cela m'a fait penser - actualité oblige - à la rénovation de la tour Keith Haring qui trône devant l'hôpital Necker. Haring a déclaré avoir peint cette fresque pour distraire les enfants malades de cet hôpital, aujourd'hui et demain. La culture populaire est là, à mon sens, destinée au plus grand nombre dans les règles de l'art.

Hérodote touche le nerf du problème. Le mot Kultur, orthographié à l'allemande, le rebute car il lui trouve une odeur de populisme. Il aimerait mieux le simple Culture en français, Culture par ou pour le Peuple, plutôt que Culture au ou du Peuple. Hérodote, ce Kultur a quelque chose qui glace le sang vous avez raison : l'idée qu'une sphère supérieure penserait à la place du peuple en lui donnant une nourriture insipide masquée par ce fort exhausteur de goût qu'est la distraction. Et distraire, comme aurait dit un Orwell, c'est empêcher avant tout les gens de penser. Si le théâtre se sert de la distraction pour inviter à la réflexion, car c'est plus élégant et moins rébarbatif, d'autres, malintentionnées, s'en servent comme vaseline. C'est ainsi que TF1, chaîne populiste de droite, véhicule ses idées. Mais elle n'est pas la seule ! Oh non ! France Culture, radio ancrée à gauche, en fait tout autant. Toutefois France Culture conjugue le pluralisme des idées, sans doute pour tenir l'engagement qu'elle porte en son nom.