Jacques Réda - Les Ruines de Paris
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Jacques Réda - Les Ruines de Paris
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Les Ruines de Paris
Jacques Réda
Poésie/Gallimard
Les Ruines de Paris
Jacques Réda
Poésie/Gallimard
Tout à la fois poète, éditeur et chroniqueur de jazz, Jacques Réda explore les lointains et les banlieues en bus, train, à pied ou à solex. Éminemment sensible aux odeurs et aux ambiances, c’est le monde de la petite vitesse qui le fascine, mû par les incidents les plus minuscules. Son écriture résulte bien souvent d’une déambulation urbaine et ainsi, tel un photographe à la recherche des recoins secrets, déserts, marchant à l'aventure, il provoque la chance et découvre quelque chose d'anodin en apparence qui se révèle soudain merveilleux : un tout petit square, là-bas, au fond d'une rue, une maison abandonnée, le soleil couchant sur les Tuileries. Quant aux personnages, c’est surtout des vagabonds superbes, chats retournés à l'état sauvage, rayonnant de modestie. Du reste, il aime bien comparer son travail à celui d'un éboueur qui s'efforce, sans zèle, mais avec application, de remettre un peu d'ordre dans la ville en la préservant de la déliquescence absolue. Oui, on peut voir quelque chose en lui de la Folle de Chaillot, traînant, errant dans Paris, un vieux Polaroïd à son cou. Un petit «clic-clac» en avant-goût ? C'est parti :
« Vers six heures, l’hiver, volontiers, je descends l’avenue à gauche, par les jardins, et je me cogne à des chaises, à des petits buissons parce qu’un ciel incompréhensible comme l’amour qui s’approche aspire tous mes yeux. Sa couleur à-peu-près éteinte n’est pas définissable : une turquoise très sombre, peut-être, l’intense condensation d’une lumière qui échappe au visible et devient le brûlant-glacé de l’âme qu’elle envahit. Sur des lacs filent sans aucun bruit les convois de nuages, sans aucun bruit. La foudre surprendrait moins que cette explosion de silence qui ne finit plus. »
[…]
« Le désespoir n’existe pas pour un homme qui marche, à condition vraiment qu’il marche, et ne se retourne pas sans arrêt pour discutailler avec l’autre, s’apitoyer, se faire valoir. Longtemps l’autre en effet vous écoute et paraît vous donner raison. Et puis avec son air inoffensif et navré de victime, tôt ou tard il vous coince et vous accroche au premier clou. C’est pourquoi je vais vite et droit devant moi vers la rase campagne à fourrés qui règne autour des Invalides. Déjà rue de Babylone il arrive qu’on croise un lapin. Des cloches tintent derrière les gros murs que j’effleure au passage ; leur contact me soulage et me dispose à réfléchir. Mais réfléchir à quoi quand le ciel se bouscule du fond des plaines, et que le vent cogne dans la figure avec sa charge de terre molle et froide comme un croquenot ? Je rentre. Il y a des œufs, du fromage, du vin, beaucoup de disques où, grâce à des boutons, on peut mettre en valeur la partie de la contrebasse. Ainsi je continue d’avancer, pizzicato. Est-ce que je suis gai ? Est-ce que je suis triste ? Est-ce que j’avance vers une énigme, une signification ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Je ne suis plus que la vibration de ces cordes fondamentales tendues comme l’espérance, pleines comme l’amour. »
« Vers six heures, l’hiver, volontiers, je descends l’avenue à gauche, par les jardins, et je me cogne à des chaises, à des petits buissons parce qu’un ciel incompréhensible comme l’amour qui s’approche aspire tous mes yeux. Sa couleur à-peu-près éteinte n’est pas définissable : une turquoise très sombre, peut-être, l’intense condensation d’une lumière qui échappe au visible et devient le brûlant-glacé de l’âme qu’elle envahit. Sur des lacs filent sans aucun bruit les convois de nuages, sans aucun bruit. La foudre surprendrait moins que cette explosion de silence qui ne finit plus. »
[…]
« Le désespoir n’existe pas pour un homme qui marche, à condition vraiment qu’il marche, et ne se retourne pas sans arrêt pour discutailler avec l’autre, s’apitoyer, se faire valoir. Longtemps l’autre en effet vous écoute et paraît vous donner raison. Et puis avec son air inoffensif et navré de victime, tôt ou tard il vous coince et vous accroche au premier clou. C’est pourquoi je vais vite et droit devant moi vers la rase campagne à fourrés qui règne autour des Invalides. Déjà rue de Babylone il arrive qu’on croise un lapin. Des cloches tintent derrière les gros murs que j’effleure au passage ; leur contact me soulage et me dispose à réfléchir. Mais réfléchir à quoi quand le ciel se bouscule du fond des plaines, et que le vent cogne dans la figure avec sa charge de terre molle et froide comme un croquenot ? Je rentre. Il y a des œufs, du fromage, du vin, beaucoup de disques où, grâce à des boutons, on peut mettre en valeur la partie de la contrebasse. Ainsi je continue d’avancer, pizzicato. Est-ce que je suis gai ? Est-ce que je suis triste ? Est-ce que j’avance vers une énigme, une signification ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Je ne suis plus que la vibration de ces cordes fondamentales tendues comme l’espérance, pleines comme l’amour. »
Guthrie- .
- Messages : 2547
Date d'inscription : 30/09/2012
Re: Jacques Réda - Les Ruines de Paris
Est-ce que je suis gai ? Est-ce que je suis triste ? Est-ce que j’avance vers une énigme, une signification ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Je ne suis plus que la vibration de ces cordes fondamentales tendues comme l’espérance, pleines comme l’amour.
Pour m'être promenée dans des squares, et même dans tout Paris, seule et en mode rêverie, j'aime vraiment cette citation. Espoir et plénitude seuls remplissent celui qui marche ainsi.
Pour m'être promenée dans des squares, et même dans tout Paris, seule et en mode rêverie, j'aime vraiment cette citation. Espoir et plénitude seuls remplissent celui qui marche ainsi.
Laelle- Petit Sage
- Messages : 498
Date d'inscription : 16/11/2013
Age : 46
Re: Jacques Réda - Les Ruines de Paris
Je crois qu'au delà de la dimension poétique il y a un vrai sens dans la marche, un sens physique, psychique... Le philosophe disait déjà...
Invité- Invité
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