[Divisé] Lire Molière ?

Oui j'ai déjà vu le document, il m'a captivé.

Molière était un personnage multiple me semble-t-il, singulier pour le moins, cultivant une sorte d'ambivalence entre sa fonction d'auteur et de formidable metteur en scène, d'acteur ! Que l'on trouve des échos de la plume de Corneille dans les oeuvres de Molière ne me semble vraiment pas surprenant, ils appartiennent tous deux à une époque charnière, le XVII ème siècle, celui des comédies de moeurs, des tragédies antiques, des fables ! Le théâtre a véritablement explosé à cette époque, les influences de la nouveauté devaient être nombreuses...

Par contre ce qui semble être une légende c'est la vie de bohème de Molière, cette image de saltimbanque itinérant un peu déjanté ne paraît pas très crédible aujourd'hui, mais bon.

Il faut savoir que la troupe de Molière, tant l'Illustre Théâtre que la Troupe du Prince de Conti puis la Troupe de Monsieur, avant de devenir les Comédiens du Roi, jouait beaucoup Corneille ! C'était un auteur incontournable du milieu du XVIIème siècle.

Guthrie, le film de Mnouchkine est superbe, Caubère est génial, des scènes prodigieuses.

Olive, l'image de la vie de saltimbanque itinérant a été popularisé par le Roman Comique de Scarron, roman génialement drôle qui décrit justement la vie chaotique d'une troupe de comédiens aux prises avec les mauvaises auberges, les ivrognes, les fonctionnaires qui voulaient se faire des actrices, etc. Mais il semble que la vie de comédien itinérant de Molière ait été plus riche que dans le Roman Comique. Savoir que Molière était un bon gestionnaire, talent hérité de son père, et qu'il savait faire entrer de l'argent. Pendant ce tour de France, il continua d'ailleurs à aider son père en visitant des clients de province...

Je trouve que Molière est porteur d'une image romantique, située entre celle d'un troubadour et d'un romancier moderne. Mais aussi rattaché à la monarchie de par son ascendance paternelle. Quoi qu'il en soit c'est un auteur qui fait rêver, pour moi il incarne l'idéal de l'auteur aventurier et pertinent, toujours à l'affût des comportements les plus caractéristiques, qu'il pouvait intégrer dans ses oeuvres. C'est un théâtre humaniste, certes acide par certains côtés, mais tellement jubilatoire. Il maniait les archétypes avec une grande dextérité littéraire.

J'ai vu le documentaire et... bon, certes, monté comme ça l'est, ça fait vrai. Pour autant, il n'y a aucune preuve, sauf celle que Pierre Louÿs a emportée dans la tombe, dommage !
Il y a des indices, des concordances, des coïncidences, mais c'est tout. On y voit des preuves parce que celui qui cherche à étayer cette thèse va chercher la réponse aux questions là où il veut les trouver : ceci est suspect dans la vie de Corneille ? Que fait Molière alors ? Ah ah, ça correspond, c'est la preuve. Mais rien ne dit que je ne la trouverais pas en la cherchant, moi, dans la biographie de la maîtresse du Prince de Conti ou de sa femme de chambre. La méthode me semble donc discutable.

Quant au style et à la langue, hum... Eh bien, c'est un peu embêtant. Les fautes de syntaxe et de morphologie sautent à nos yeux de contemporains. Pour mes profs d'université, la langue français de l'époque était moins codifiée qu'aujourd'hui. Ils basent cette affirmation sur l'étude des auteurs, dont Molière justement ! Il est vrai aussi qu'il faisait parler des personnages de toutes couches sociales et que, d'autre part, le mélange des styles est l'un des ressorts les plus connus du comique. Quant aux vers qui se ressemblent, que Molière les ait vus "sortir tous seuls" sous sa plume ne m'étonne guère vu que sa troupe jouait très régulièrement du Corneille.

Par ailleurs... il suffit de relire les comédies tardives de Corneille (exception faite de L'Illusion comique évidemment) pour comprendre qu'à cette époque l'invention comique du bonhomme n'était pas à son summum. C'est bien triste si l'on admet, comme le dit le documentaire, que la comédie était son rêve, mais c'est ainsi. Du reste, Voltaire lui-même passa ses nuits à suer sang et eau sur ses tragédies, genre "noble" s'il en est, et n'écrivait de petits contes philosophiques que comme "passe-temps" ou presque, et il faut bien avouer que leur lecture est du même tonneau que celle des comédies pas drôles de Corneille, hélas !